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Il y a un quart de siècle, Tour de Corse 1993. « Des virages et des figures »


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10 réponses à ce sujet

#1 Jeff B

Jeff B

    Pilote qui creuse

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  • 23 messages

Posté vendredi 30 mars 2018 à 10:49

Si le sous virage est la preuve de la non existence de dieu – dixit François Chatriot - l’île de beauté, elle,  tendrait bien à prouver l’existence du divin !

 

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Si vous avez la chance de débarquer à Calvi, dominée par son imposante citadelle, vous aurez l’impression de mettre pied à la fois sur une île paradisiaque et dans une forteresse. Ici, tout éveille les sens, l’air du large, la vue sur les montagnes, l’accent des autochtones…                 

 

Des rivages de la méditerranée aux sommets enneigés du Monté Cinto, la Corse se révèle à la fois imprenable et accueillante. Une île intacte, insoumise, plurielle. Et partout sur ses terres, comme une évidence, une fierté, la Corse impose son outrageuse beauté.

 

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C’est en sillonnant les routes et les villages qu’on s’imprègne de l’âme Corse, du passé. Cette enclave perdue au milieu de la méditerranée fut le rocher de toutes les convoitises. Un Graal ! Colonisée par les Phocéens, prise par Carthage, bagne Romain, conquête Vandale, envahie par les Sarrasins… cédée à Pise par le pape Grégoire VII, territoire Génois puis vendue à la France en 1768 ... L’histoire Corse c’est avant tout l’histoire des Corses. Au fil des siècles, de génération en génération, les insulaires se sont transmis cette soif de liberté, d’indépendance, cette âme rebelle. L’insularité !

 

15 aout 1769, à Ajaccio, l’île enfante du plus grand des empereurs, Napoléon Bonaparte, la deuxième grande figure locale. Peu avant, le 15 mai 1768, la Corse devient Française par le Traité de Versailles. L’île de beauté vient juste de connaître sa première période d’indépendance grâce à Pascal Paoli. Né en 1725 à Morosaglia, Paoli demeure le plus grand personnage de l’histoire insulaire. Idéaliste, politicien de génie, précurseur aussi, Paoli est élu « Général de la nation Corse » en juillet 1755. Il souhaite mettre en place des réformes, des dispositions, des lois modernes et équitables. Il veut une nation évoluée, indépendante, à l’économie agricole forte et autosuffisante. Il désire lutter contre la « Vendetta » et le crime qui terrorisent le territoire. Il va créer des écoles dans les villages les plus reculés des hautes - terres et fonde l’université de Corte en 1765… Le 8 mai 1769, la France livre à la Corse une sanglante guerre de territoire à Ponte Novu. Il y a 4300 morts et plus de 6000 mutilés. La Corse est vaincue. Sept jours plus tard, elle sera française, Pascal Paoli quitte l’île pour Londres. Il restera à tout jamais la plus grande figure de l’histoire Corse, l’étendard d’un peuple. En avril 1793, Napoléon Bonaparte se fâche avec Pascal Paoli qui, bien que loin de ses racines, est toujours déterminé pour l’indépendance de son île. Le 11 juin 1793, menacé d’assassinat, Napoléon et sa famille sortent d’Ajaccio par la petite porte et quittent la Corse.

 

Deux siècles plus tard, début mai 1993, des centaines de « Corsaires » accostent à Ajaccio, Calvi ou Bastia. Ils souhaitent livrer une guerre bien plus pacifique, certes, mais veulent en découdre  pour conquérir le « Rallye aux 10000 virages ». Leur Graal !

 

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Les routes Corses qui gravissent les cols, serpentent au cœur de la Castagniccia, plongent dans de profonds ravins, disparaissent dans la montagne et le brouillard pour ressurgir comme par miracle suspendues entre terre et mer sont à l’image de l’île : uniques ! Inattendues. Difficiles. Impitoyables. Tourmentées. Exigeantes, Bosselées. Sélectives. Enivrantes… Et partout, en toile de fond, en perspective, ce décor qui enivre de 1000 merveilles !

 

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La Corse s’érige en paradis rallystique mais la conquérir est une quête difficilement accessible. L’île de beauté est un petit territoire géographique mais depuis plus de 60 ans, « le Tour » représente ici un événement si exceptionnel et prestigieux qu’il a fait naître de nombreuses vocations. D’Orsini à Campana, en passant par Manzagol, Loubet, Fiori, Balesi, Serpaggi, Bernardini…la Corse a accouché d’un grand nombre de rallymen de talents. Pourtant, les plus grandes batailles insulaires furent remportées par des pilotes français… des continentaux quoi ! Certains, comme Jean Claude Andruet, si envoutés par les beautés locales furent définitivement imprégnés par l’âme Corse. Andruet remporta 3 Tour de Corse, presqu’à domicile. Jean Luc Thérier, autre amoureux de l’île et souvent héroïque sur ces routes, remporta l’épreuve en 1980.

 

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Jean Luc Thérier Corse 1973 : autocult.fr

 

La première édition consacre la pilote Belge Gilberte Thirion en 1956, qui offre ici la première grande victoire à la Renault Dauphine. A ce jour, le dernier Tour de Corse couru, en 2017, a été remporté par le Belge Thierry Neuville. Mais, si Thierry avait déjà décroché le Graal en 2011 en IRC et que l’édition 1995 avait été dominé par un autre sujet de la Royauté, Bruno Thiry ; qui comptait alors 53’’ d’avance sur Didier Auriol à deux spéciales du but avant d’abandonner ; la Corse n’est pas franchement une conquête Belge !   

 

                                              Plutôt une chasse gardée franco - française : 43 victoires tricolores en 60 éditions !!

 

Hormis Pascal Trojani qui a remporté le Tour en 2009 en Coupe de France, le seul pilote insulaire « prophète en son pays » fut Pierre Orsini. Et à trois reprises, en 1959, 1962 et 1965 ! Une figure…

 

Il y a un quart de siècle, le 1er mai 1993, à Ajaccio, deux cent ans après la fuite de Napoléon, l’enfant du pays Yves Loubet n’espérait qu’une chose : revenir dans la ville, 4 jours plus tard, en héros du peuple Corse. En Empereur !

Au départ des 10000 virages, 95 figurants dont une vingtaine de figures sont prêts à en découdre avec cette 37ème édition. Le TTE mise sur 3 Celica officielles, une pour le tenant du titre Didier Auriol, une pour le pigiste François Chatriot (alias le toubib, alias le chat…) et la dernière pour le héros local, le « rambo du maquis » Yves Loubet. Bien que né en Algérie en 1958, Yves est Corse d’adoption, de cœur et d’âme. Il transpire la passion, le rallye et la Corse, sa Corse. Emerveillé tout petit déjà par les légendes du Tour de Corse, Yves va consacrer sa vie au rallye. Son rêve absolu : succéder à Pierre Orsini ! En 1976, le jeune Loubet fera ses débuts à la Giraglia avec une modeste VW Golf. Rapidement, son talent se confirme également de l’autre côté de la méditerranée.     

                                                                                       

 En 1979, sur le continent, Loubet rime avec attaque,  « l’attaque à paquet » ! Mais Loubet connait aussi de nombreuses désillusions.

 

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Yves Loubet : youtube

 

Lors des éditions 1984, 85 et 86, au volant d’une mélodieuse Alfa GTV6, Yves réalisera quelques miracles.10ème scratch la première année, 5ème la suivante puis carrément sur le podium lors du funeste Tour de Corse 1986. En 1987, l’homme de Porto Vecchio qui a tapé dans l’œil de Cesare Fiorio dispose enfin d’une arme pour triompher. Et c’est à partir de là que la machine s’enraye…Promu pilote Lancia Martini et disposant d’une efficace Delta lors du millésime 87, Yves connaît une crevaison et échoue second derrière la BMW M3 de Bernard Béguin. L’année suivante, le Corse réalise 22 scratchs ( !) mais perd 8 min à cause de soucis de boite sur sa Delta HF. Le héros local devra à nouveau se contenter de la 2ème place derrière la Sierra d’un grand Didier Auriol qui lui, entame une série de 6 victoires insulaires ! Malgré 7 meilleurs temps, le rambo du maquis ne fera pas mieux que 4ème en 1989. Lors de l’édition qui va suivre, la Delta HF du Porto - Vecchiais subit une crevaison dés le 3ème chrono puis un bris de cardan alors qu’il jouait à nouveau devant… En 1991, au bout de 20 km seulement, les espoirs du Corse sont anéantis par un siège cassé… Pour l’édition 1992, Lancia Martini décide de confier ses trois belles italiennes à Auriol, Bugalski et Aghini. L’enfant du pays dispose quant à lui… d’une AX Gti ! Alors que Didier reçoit son 4ème sacre insulaire devant la Sierra de François Delecour, Yves est héroïque jusqu’au col de Verde… Dans « le Verde » l’AX rend les armes, de même qu’un espoir local, Patrick Bernardini, au volant d’une BMW M3 !

 

Le Col de Verde, au dessus des hêtres centenaires, souvent bloqué par la neige en hiver est un haut lieu du Tour de Corse. Un peu le Col de Fontbelle insulaire ! Ce col surplombe le tronçon de 44,67 km reliant Tasso à Ghisoni et sera encore fidèle à sa légende en 1993… Mais avant de monter à 1289 M d’altitude, retour au niveau de la mer à Ajaccio avant 11 tronçons de spécialités locales. De quoi se faire les bras déjà, avant d’arriver à Tasso…

 

Face aux Toyota, Ford fait figure de favori cette année. L’Escort semble redoutable et François Delecour a encore le Monté Carlo en travers de la gorge. Son équipier, le double champion du monde Massimo Biasion est un excellent finisseur. Il y a aussi les deux Lancia des redoutables Sainz et Aghini, quelques outsiders comme les Ford Yacco de Bernard Béguin ou de l’espoir Simon Jean Joseph…Et puis, la Subaru Legacy du Champion de Grande Bretagne 92, un jeune pilote flamboyant de 25 ans qui vient de faire une démonstration en Suède. L’écossais découvre l’île, la Corse va découvrir Colin Mc Rae.

 

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Colin Mc Rae : pinterest.co.uk

 

Dés le prologue, Delecour tire un premier coup de fusil. Cette année, c’est décidé « il va montrer qui c’est freine - tard » ! Dans l’ES 2, Carbuccia - Tavera, François dynamite. Les trois Toy’ ramassent une sec au kil !! Le troisième round est « un morceau » de 44 km, Vero - Casaglione. Au milieu des terrasses et des Châtaigniers, dans un décor très « cévenol » Aghini qui semble avantagé par ses pneus Pirelli fait jeu égal avec Delecour. Auriol accuse 9’’ de retard, Loubet 16… Le chat  lui, perd 55’’ suite à un début d’incendie ! Sur le tronçon suivant, Aghini enflamme le maquis, la Delta plane puis s’écrase dans le décor. Décor attirant mais tout de même ! La belle italienne a tapé fort à l’arrière … « Quand tu vois l’arbre que tu vas heurter, c’est du sous - virage. Quand tu ne peux qu’entendre et sentir le choc, c’est du survirage » : Walter Rohrl.  François Delecour, pour sa part, continue de disperser… Pour le moment, Colin Mc Rae devance Biasion et Loubet…Exploit !

 

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François Delecour : rally2a.skyrock.com

 

Le Col de Marcucciu et ses 25 km, sa forêt de chênes, confirme la bonne forme du pilote Ford. Le leader ventile le classement ! Auriol perd encore 7’’. C’est le toubib qui résiste le mieux et n’encaisse que 4 unités ! A Sainte Marie Sicchée, Delecour continue de pilonner et s’offre un nouveau record. Loubet y devance Auriol mais c’est à nouveau Chatriot qui semble le seul à résister au « raz de marée » Nordiste. A Pila - Canale, des trombes d’eau épargnent les premiers sur la route…Yves Loubet et son N°9 encaisse la déferlante et 17’’ en 14km par Biasion qui se montre enfin. Le chat, qui ne semble pas craindre la flotte outre mesure (légende ?) est le meilleur du clan Nippon. Quoi de mieux qu’un petit tour à la plage pour finir une journée de boulot? Agosta - Plage et ses 25 km clôturent cette 1ère étape. La musique polyphonique de la Ford N°3 résonne jusqu’aux rivages et soulève l’admiration du public autochtone. Delecour explose le record et la course ! Le chat  dont l’agilité n’est pas une légende est à nouveau 2ème mais à 11’’ ! Ah sans cet incendie… Didier Auriol lui, n’est pas très à l’aise, il rejoint la cité impériale à la seconde place…mais  à 1’O5’’ du futur (?) empereur. Sainz est 3ème, Chatriot 5ème… Yves Loubet a du mal à retrouver le (gros !) rythme du mondial et se retrouve à la 6ème place, 30’’ seulement devant le chevalier écossais « Braveheart ».

 

Le lendemain, la caravane du Tour quitte le port d’Ajaccio pour rejoindre celui de Bastia. Entre les deux, huit spéciales au programme et 220 km de virages. Figures ou figurants, tous savent que cette journée là, celle de la Montagne Corse, du massif qui coupe la Corse en deux, sera cruciale. A Verghia, son bel enrobé et ses 26km, le pilote de Cassel est implacable. Auriol va mieux, il est second ex - aequo avec Yves Loubet, enfin, mais à 12’’ ! Le grand village de Sartène, forteresse de pierre en amphithéâtre est le théâtre du premier scratch du Toubib. Normal pour un acteur ! Car François Chatriot, en plus de sa spécialité médicale est aussi acteur de cinéma et de théâtre ! Vous suivez ? Bref, le toubib administre sa première piqure à la Ford du leader qui souffre du turbo et qui perd d’un coup 23’’… Loubet est bon 5ème. Aullène - Zicavo s’offrent ensuite à un Aghini remis sur pied qui devance Auriol de 4’’ et Loubet de 5’’ en 25km alors que Delecour agonise et perd encore 13’’… La course est elle entrain de basculer ?

 

ES 12, Tasso - Ghisoni, 44,67 km. Notre fameux Col de Verde. Le juge de paix. François, Dieu merci, y retrouve une Ford moins asthmatique ce qui, dans la montée de Col, n’a rien d’anecdotique ! Et puis, de l’autre côté du Col, il y a la descente, et celle - ci sourit habituellement aux « grands malades »! En réalisant 27’06’’, François retrouve le sourire. Mais…alors que Didier Auriol semblait bien discret et étonnamment en retrait depuis 11 spéciales, le Col de Verde va venir confirmer une évidence. Sur cette portion Corse par excellence, c'est-à-dire étroite, sale, piégeuse, bosselée, dangereuse…le Millavois montre enfin tout son talent : 26’45’’ !!

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Un chrono qui fait mal à la tête et qui permet au tenant du titre de revenir à 24’’ du Nordiste. Carlos Sainz qui roule en Michelin gare ensuite sa Lancia au point - stop : 27’05. Le chat qui avait alors mis quelques coups de griffes à son leader prend ici sa première douche froide : 27’01’’. Aghini et ses Pirelli, très en verve depuis le matin se fait attendre. Andréa, trahit par ses suspensions, est la première victime du Verde… Mais pas la dernière, hélas. C’est au tour du celui qui rêve nuit et jour du Tour d’en finir avec ce monument de l’histoire Corse. Les minutes s’égrènent, le silence devient de plus en plus assourdissant. Puis, le son de la Celica tant attendue ressemble de plus en plus à celui du moteur Boxer de la monture à Braveheart…C’est Mc Rae qui franchit la ligne. Dans la vertigineuse descente sur Ghisoni, Yves, à l’attaque, a mis un petit coup de volant afin d’éviter une pierre sur la trajectoire… et mis sa Toy’ en bascule dans le vide, la Toy’ au - tas ! Ce haut - lieu, fidèle à sa réputation, a écrit une nouvelle page de sa légende. Pour le Corse et les Corses, l’histoire est injuste… Pour Yves Loubet, qui porte alors tous les espoirs d’un peuple sur ses épaules, le Col de Verde sera le cimetière de ses ambitions de victoire insulaire.

Beauté fatale !

 

Malgré tout, dans la montagne Corse, les exploits du « rambo du maquis » résonnent encore. Sur l’île, il restera une figure !

 

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Yves Loubet : forum-auto.com

 

Pour d’autres, avant lui, le rêve Corse s’est finit en tragédie. Attilio Bettega en 1985, Henri Toivonen et son copilote Sergio Cresto en 1986 payèrent de leurs vies leur amour immodéré pour l’île de beauté. Effroyable beauté !

 

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Henri Toivonen 1986 : pinterest.co.uk

 

Après cette épreuve de vérité, le rallye reprend son souffle. Dans l’ES 13 de Muracciole, Delecour scratche et reprend un peu d’air. Puis, au cœur même de l’île, le chrono de Corte - Taverna, long de 26 km est avalé en 16’12’’ par le leader de la course. Au pied des fortifications de l’ancienne capitale Corse sous Pascal Paoli, le lutin Millavois à l’attaque se voit repousser à 8’’…le toubib à 17…le matador à 20… Le « Paoli » du macadam, le « Général des routes Corses » dispose à nouveau de plus de 30’’ d’avance au général !

 

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Avant de débarquer à Bastia, il faut encore parcourir 47km et 2 chronos. Et quels chronos ! Tout d’abord, un autre haut - lieu de l’épreuve, un haut -lieu de la Corse : Morosaglia, village natal de Pascal Paoli. Dans ces 29 km de Castagniccia, de hautes terres habitées de légendes et par les cochons sauvages, freine - tard  met le feu à la châtaigneraie. En 18’55, le François de chez Ford assomme le François de chez Toyota (19’07’’)…le vainqueur 1992 (19’12’’)...le champion du monde en titre Sainz (19’21’’)… un futur champion du monde et vainqueur sur l’île Mc Rae (19’38’’) ! Les Clio Williams de Ragnotti et Oreille sont en furie et font - au moins - jeu égal avec l’Escort du vainqueur 87, Bernard Béguin ! Dans le fief de Pascal Paoli, François Delecour a repoussé tous ses assaillants et semble enfin tenir sa victoire sur l’île de beauté. Mais il est encore un peu tôt pour rêver… Didier Auriol a compris que pour remporter un 5ème Tour de Corse, il devra mettre le curseur encore un peu plus haut ! Mais le peut- il ? En tout cas, il devra prendre des risques, beaucoup de risques…

Le dernier tronçon qui fait descendre les concurrents au Palais des Gouverneurs de Bastia passe par la plaine de la Marana et les 17km de Borgo. Le toubib de l’équipe Japonaise fait une seconde prescription à Delecour. En faisant le scratch et reprenant 3’’ à ce dernier, Chatriot lance un avertissement aux hommes de Boreham : les hommes du Pays du Soleil Levant n’abdiquent jamais ! Mais surtout, le toubib fait une nouvelle piqure de rappel à son leader : tant que le chat sera là, les souris ne danseront pas ! Chatriot n’est qu’à 39’’ d’Auriol alors, qui sait ?

La troisième étape doit rejoindre la ville natale de Napoléon, Ajaccio et compte 186km contre le chrono. François a déjà gagné deux batailles, pas encore son « Austerlitz » … Mais qui pourrait arrêter la marche en avant du nouvel « élu » des routes Corses ? Qui pourra stopper la marche de l’Empereur ?

 

Le macadam insulaire est à l’image des terres : déchiré, déchiqueté, chaotique, vertigineux… magnifique ! La Corse sanctuarise la beauté, en fait l’expression suprême de son identité. A chaque fois que je quitte cette île, je suis envahi par une certaine mélancolie et n’espère qu’une chose : revenir !

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Lors de mes différentes pérégrinations sur l’île de beauté lors de Tour de Corse ou de voyages, je me suis ébloui de ces routes mais surtout, de ce territoire qui nous offre 10000 merveilles. Chaque détour est une révélation, chaque découverte un enchantement. Le contraste offert par cette montagne qui sort de la mer est véritablement féerique. Ce chef - d’œuvre de la nature demeure presque intact. Vers la Porta, dans la Castagniccia, ce berceau de la Corse, le temps semble arrêté. Dans ces gros villages aux toits de lauzes, à la forte personnalité, baignant dans une ferveur qui traverse les siècles, de nombreuses églises baroques érigent leurs sommets avec fierté au-delà des châtaigniers. Ces édifices semblent apaiser la vie et protéger ce joyau de verdure culminant entre les deux côtes méditerranéennes. Les citadelles, les églises, les villages sont les traces du passé mais également l’héritage des conquérants ! C’est cela aussi, l’ile de beauté, la multiculturalité ! Le soleil couchant sur la réserve de Scandola, sur le Golfe de Porto ou sur le granit rouge de Piana est un spectacle d’une beauté incomparable, inouïe. Ici, le matin, vous pouvez apercevoir des dauphins au large de Girolata, vous baigner dans les piscines naturelles au milieu des cascades et des pins Laricio de la forêt d’Aitone à midi et finir votre journée entouré de mouflons sur les pentes du Monté Cinto qui culmine à 2706 mètres. Divin! La Corse émerge de la méditerranée, à la fois paradisiaque, apaisante… et violente. Car la Corse a aussi sa part d’ombre. Cette diversité, cette pluralité, cette exubérance, font de l’ile française un véritable continent. Un continent sanctuaire de la beauté. A la fois lumineux et sombre. Une ile paradoxale.

 

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Lors de Tour de Corse, j’ai eu aussi quelques grandes émotions. Notamment en 2004, à l’arrivée de la dernière spéciale, le Pont de Calzola. Cette année là, Markko Martin remporte le rallye après une superbe bataille face à son équipier François Duval. Je me rappelle précisément d’un passage extraordinaire de l’Estonien sur une partie humide et glissante de Peri - Bastelica où Duval et Loeb mettent une valise à tous les autres… sauf à Markko qui signe un scratch époustouflant. Et surtout, au point stop du Pont de Calzola, le dernier point stop, je me souviens de cette immense émotion collective quand Sébastien Loeb et Daniel Elena arrivent enfin et décrochent leur premier titre de champion du monde. Inoubliable !

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En 2018, la spéciale de Vero - Sarrola sera la plus longue depuis 1986… A l’issu de cette ES 11, il y aura sûrement des histoires à raconter. Pour ma part, je parierai sur un scratch de Sébastien Loeb à l’arrivée de Sarrola - Carcopino. Ce serait un clin d’œil de l’histoire…C’est ici, en effet, dans la petite église du village que le 16 octobre 1963, un des plus grands écrivains de l’histoire, mais qui fut aussi militaire, résistant, héros de l’aviation, scénariste, diplomate… Romain Gary, se maria avec l’actrice Jean Seberg. L’homme aux 10000 vies et la nouvelle star du cinéma américain unissent alors leur destin loin du regard du monde et des projecteurs. Gary, le seul écrivain à avoir décroché deux Prix Goncourt reste célèbre, notamment, pour son chef - d’œuvre « La promesse de l’aube »… La récente prestation Mexicaine de Loeb peut faire rêver à nouveau chef - d’œuvre insulaire non ?

 

Prés de 30 ans plus tard, François Delecour, lui, a toutes les caméras braquées sur lui en ce mardi 4 mai 1993. Après la terrible désillusion du Monté Carlo, le nordiste a un rêve, celui de rejoindre Ajaccio en héros. 51’’ d’avance, cela semble raisonnable mais François connait Didier.

 

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Didier Auriol : forum-auto.com

 

Les 26 km du Col San Stefano ouvrent les hostilités de cette ultime boucle. Le Millavois, en effet, n’abdique pas et réalise le chrono de référence pour 2’’ face au pilote de Cassel. Dans le Désert des Agriates, la spéciale de Casta - Pietra - Monetta fait 15,74 km. En 10’02’’ François et Didier se neutralisent. Ce chrono est intéressant car le tronçon sera repris le 7 avril 2018 par les WRC, avec 300m de moins seulement. Ragnotti et sa Clio y réalisa 10’39’’… En 2018, si le temps est sec, nous pourrons apprécier l'évolution!

Les deux funambules font à nouveau jeu égal dans Montemaggiore. Et le rythme n’a pas baissé, les records de spéciales tombent comme des sangliers dans le maquis un jour de chasse. A Notre Dame de la Serra, la vue sur la baie de Calvi est sublime, Delecour est étincelant. Auriol s’accroche à la montagne mais dévisse lentement…

 

Au parc de Calvi, Didier sait une chose : la victoire est désormais improbable mais s’il doit tenter quelque chose, c’est maintenant dans les 31km de Fango - Partinello. Le pilote Toyota fait le choix de partir en pneus tendres et réussi le chrono de référence…mais 2’’ seulement devant la Ford d’un Delecour souverain. Mc Rae n’est qu’à 2’’ de Sainz et continue d’enthousiasmer les autochtones! L’écossais semble constamment défier les lois de la physique, le fil est ténu mais il tient ! La révélation, c’est lui !

 

ES 22, Porto - Piana. Une carte postale. Une route suspendue à la falaise de granit rouge. Une spéciale entre terre et mer. 9,97 km seulement mais 7’’ d’écart entre le nouveau record signé Delecour et le chrono d’Auriol… Un coup de grâce !? Reste deux spéciales. Dans Liamone - Appricciani, son asphalte abrasif et ses nombreuses épingles, Didier reprend deux petites unités mais la messe est dite non ? Pas tout à fait…

 

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Car l’ultime spéciale de ce Tour de Corse 1993 n’est pas une formalité. Dans la région du Liamone et sa haute vallée, Vico - Vallée di Mezzana affiche 43 km. Mais avant de nous retrouver au dernier point stop pour le dénouement de cette 5ème manche du championnat du monde, faisons d’abord un petit tour d’horizon à propos des 44 rescapés de 574 km de combat contre le chrono.

L’épreuve constituait aussi le second round du championnat de France. Intégré au sein de l’équipe de France Espoirs, Simon Jean Joseph, malade et évoluant au commande de la seconde Escort Cosworth Yacco  particulièrement sous - vireuse (la preuve de la non -existence…) commençait à titiller le Top 10 avant d’abandonner. A la 14ème place finale, l’instituteur insulaire Jean Marie Santoni fut handicapé par la Boite de son Escort et finit 4ème du GrN. Devant lui, Christian Bruzi avec sa petite 106 XSI GrA a été impressionnant ! La 12ème place revient au premier amateur, Guy Fiori, au volant d’une antique BMW 325i qui réalise là une course exemplaire et monte sur le podium du GrN. Une place devant, le Normand Serge Jordan et sa nouvelle Clio Williams aurait du remporter la catégorie sans un support moteur cassé. Serge laisse la victoire de groupe à l’Escort de l’italien Giovanni Manfrinato, 10ème au général mais repart en tête du championnat de France ! Neuvième, Alain Oreille a rencontré quelques soucis avec sa Clio Williams GrA mais signe plusieurs chronos dans les huit en spéciales ! Devant lui, son équipier Jean Ragnotti, vainqueur du rallye en 82 et 85, participait à son 18ème Tour de Corse ! En plus de faire le show, Jeannot prouve une fois de plus son audace, son (unique !) talent et surtout, sa vitesse. Dans le Col de Verde, il claque le 7ème temps devant la Cosworth de Béguin…Idem dans Morosaglia… Et finit 8ème scratch. Magique !

 

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Jean Ragnotti, Tour de Corse 1983 : motorsport.com

 

Juste devant l’acrobate, Biasion, bien pâle puis l’Escort de Béguin 6ème, semblent avoir soufferts plus que de coutume sur les routes insulaires.

La 5ème place acquise à l’issu de Vico par Colin Mc Rae est un acte de bravoure. Généreux, courageux, le chevalier écossais ne semble que limité… par sa monture ! Ce génie de l’improvisation est surement un des premiers ; avec Henri Toivonen ; à parcourir moins de virages que les autres pilotes en course et en Corse ! Il coupe partout où c’est possible… et parfois même quand cela est impossible !  J’ai en mémoire un passage au dessus de la Porta en 2000… En « figure libre » l’écossais valait 10 sur 10 ! Mc Rae poussait même son art suprême jusqu’à nous offrir quelques « compressions » automobiles digne du sculpteur César !... Colin remportera 2 victoires sur l’île de beauté. En 1997, il est second avant l’ultime spéciale, à 7’’ de Sainz. Dans les 24 derniers km de Stiliccione, Colin ose tout et atomise Carlos pour remporter son premier Tour, pour 8 secondes ! En 98, toujours au volant d’une Subaru WRC, il décroche le Graal devant la 306 Maxi de François Delecour. Avant « d’être un jeu », Colin Mc Rae a été un des plus grands pilotes de l’histoire du sport automobile. Et le voir évoluer, en Corse ou ailleurs, n’avait rien de virtuel! Quelques semaines plus tard, sur de larges et rapides pistes taillées à sa mesure, Colin remportera à 25 ans, en Nouvelle Zélande, sa première victoire en championnat du monde des rallyes. La légende est en route…

 

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Colin dans ses oeuvres... : bangshift.com

 

Reprenons le cour de notre classement. Carlos Sainz et sa Lancia chaussée par Michelin doit se contenter de la 4ème place. Le vainqueur 1991 n’a jamais semblait en mesure de jouer le podium. Troisième, le pigiste de luxe François Chatriot réussi un tour de force remarqué. Devançant son illustre équipier Didier Auriol en début d’épreuve, parfois dans le rythme de Delecour, le toubib excelle quelque soit la spécialité : radiologie, cinéma, théâtre, buggy, traction avant, berline de supertourisme, propulsion, proto de Trophée Andros, transmission intégrale… Ceux qui se rappellent de sa période M3 confirmeront… La grande classe !

 

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François Chatriot : forum-auto.com

 

Pour ce qui est de la lutte pour la victoire, elle se dessine ce mardi après midi dans les mille et une senteurs printanières du maquis Corse. Au départ de Vico, François Delecour possède toujours une cinquantaine de secondes d’avance sur son rival préféré mais il reste concentré sur les pièges du parcours et occulte l’objectif suprême. Les 31’51’’ qui suivent seront parmi les plus longues de son existence pour François qui en termine enfin avec cet interminable 37ème Tour de Corse. Après trois étapes de fureur et de frénésie, les cochons, les chèvres et les vaches autochtones vont pouvoir reprendre possession de leurs routes. La montagne Corse et ses bergers va retrouver son calme.

 

François 1er, couronné, rallie Ajaccio par la grande porte. Le conquérant nordiste quitte l’île en leader du championnat du monde, en nouvel « Empereur » des routes insulaires, 200 ans après la retraite de Napoléon.

 

 

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François 1er : mscfotorali.blogspot.fr]

 

Didier Auriol, deuxième, déçu, est un roi déchu !

 

« Les nations, comme l’histoire, ne tiennent guère compte que des succès » : Napoléon Bonaparte, 1812.

 

Je ne sais pas si c’est dieu qui créa la Corse - ma seule obédience est rallystique - mais ce dont je suis certain, c’est que ce ne sont pas des êtres ordinaires qui triomphent des 10000 virages mais bien des héros. Des Figures de l’histoire Corse !

 

 

       Classement général final :

  1. François Delecour - Daniel Grataloup (Ford Escort RS Cosworth)      les 574,54 Km en       6 h 14 min 41 s à 92, OO km/h de moyenne.
  2. Didier Auriol - Bernard Occelli (Toyota Celica Turbo 4WD)                         à 1 min 02 s
  3. François Chatriot - Denis Giraudet (Toyota Celica Turbo 4WD)                  à 2 min 42 s
  4. Carlos Sainz - Luís Moya (Lancia Delta HF Intégrale 16v)                                  à 3 min 48 s
  5. Colin McRae - Derek Ringer (Subaru Legacy RS)                                               à 9 min 03 s
  6. Bernard Béguin - Jean-Paul Chiaroni (Ford Escort RS Cosworth)                       à 16 min 31 s
  7. Massimo Biasion - Tiziano Siviero (Ford Escort RS Cosworth)                          à 18 min 58 s
  8. Jean Ragnotti - Gilles Thimonier (Renault Clio Williams)                                   à 21 min 30 s
  9. Alain Oreille - Jean-Marc Andrié (Renault Clio Williams)                                   à 24 min 07 s
  10. Giovanni Manfrinato - Claudio Condotta (Escort Cosworth)  1er GrN                 à 40 min 49 s

      Meilleurs temps :

 

Jeff Boulet

 


  • Lo--->, Mad, Tofrallye29 et 8 autres aiment ceci

#2 Mad

Mad

    Raggamuffan

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Posté vendredi 30 mars 2018 à 12:10

Encore un grand moment :jap:



#3 Bobzilla

Bobzilla

    Lucky

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Posté vendredi 30 mars 2018 à 12:57

Superbe !! :fleur:



#4 Guit

Guit

    Conflt de connard

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  • LocalisationAu nord du Sud Est

Posté vendredi 30 mars 2018 à 13:19

ENCORE :love:

#5 Mad

Mad

    Raggamuffan

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Posté vendredi 30 mars 2018 à 13:41

S'il y a encore du Audiard dans le texte, je prends. :rideau:



#6 Lo--->

Lo--->

    Pilote Peugeot Dakar

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Posté vendredi 30 mars 2018 à 14:06

Cette année là, Markko Martin remporte le rallye après que son équipier François Duval se soit arrêté dans le dernier virage devant la cellule.

 

:o :o :o

 

:dudu:

 

 

 

Merci pour ce partage sinon ;)



#7 Jeff B

Jeff B

    Pilote qui creuse

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Posté samedi 31 mars 2018 à 09:03

  Pour en revenir à l'édition 2004, j'y étais et m'en rappelle fort bien. François Duval et sa Focus est leader de la première étape, 20'' devant son équipier Martin et 35'' devant Loeb. Au cours de la seconde journée, dans les 36km de Vico, il pleut et l'Estonien frappe fort en reprenant d'un coup 20'' au Belge et 23" à Sébastien alors qu'ils sont tous en slicks... Alors 6ème à 43'' de son équipier Gronholm, Cédric Robert sort sa 307... Dans le chrono suivant de Péri, 40km, bien mouillé, Martin récidive, Duval est à 11'', Loeb à 13''...Sainz à 30, Bengué et Sarrazin à plus de 40''...en 40km! A la fin de cette seconde étape, Martin est leader 20'' devant François et 1'08 devant Séb. Markko semble intouchable!

La dernière journée compte 112km... Au bout de 7km seulement, le moteur de la Ford du pilote Belge casse... Martin gagne donc ce rallye à la régulière devant Loeb et Sainz!! Sébastien devient champion du monde. Après avoir gagné les 1000 Lacs en 2003, Martin remporte le Tour de Corse!

Jeff

 



#8 juju2bsm

juju2bsm

    Pilote Airbus A380

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Posté samedi 31 mars 2018 à 13:09

Quelle plume!! J'en ai les frissons... merci Jeff

#9 Pierrauriol

Pierrauriol

    Pilote Peugeot Dakar

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Posté samedi 31 mars 2018 à 22:45

Ça se lit tout seul :)

#10 Fred.

Fred.

    Champion Team prono CFA 2016

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Posté dimanche 01 avril 2018 à 09:35

:love: :love:

 

Roooooh!! magnifique!! J'adoore

Merci Jeff de nous faire profiter de ces moments.

 

Comme pour le Grasse Alpin (et le Touquet), j'y associe le reportage TV du Tour de Corse 1993 de Christian VELLA pour Auto Moto (le reportage sur les essais de François Delecour avant le rallye étant de France 3 Nord Pas de Calais).

 


  • Lolo87 aime ceci

#11 Jeff B

Jeff B

    Pilote qui creuse

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Posté mardi 03 avril 2018 à 18:24

Merci pour la vidéo, sympa!






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