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[Mad]

Ce 22 décembre 2023, M-Sport confirmait ses deux équipages de pointe pour le Championnat WRC 2024. Pour notre plus grand plaisir, Louis Louka, un des anciens membres de Forum-Rallye, accédait au sommet de la compétition. L’occasion était trop belle pour lui dresser le portrait sous forme d’interview, une fois n’est pas coutume.


- Alors, Louis. Grégoire et toi venez d’être confirmés pour participer à l’ensemble du Championnat WRC à bord d’une Ford Puma Rally1. Tout cela juste avant Noël. Quel est votre feeling ?

- Nous savourons la chance que nous avons d’en faire partie. Nous devons vraiment remercier Jourdan (Serderidis). Sans lui, on ne serait pas grand-chose. On lui doit beaucoup. C’est incroyable qu’une personne pareille existe. Nous mesurons cette chance d’autant plus que le nombre de places est restreint et que d’autres pilotes issus du WRC2 comme Mikkelsen ou Lindholm, par exemple, restent sur la touche ou ont des programmes limités.


- Comment allez-vous aborder le Championnat ? Vous avez déjà élaboré un plan de bataille ?

- La stratégie, c’est qu’il n’y en a pas 😊 Nous sommes l’équipage néophyte tous teams confondus et avons clairement un déficit d’expérience. Nous avons tout à découvrir en catégorie RC1. Nous prendrons donc part à chaque rallye comme il se présente en essayant de résoudre la difficile équation entre rouler vite et rester sur la route. Pour 2024, le but est de rouler à un rythme cohérent pour engranger le plus de kilomètres et d’expérience ainsi que ramener des points tout en montrant que nous méritons notre siège.
Certains rallyes seront plus compliqués que d’autres. Le Portugal, par exemple, où le parcours reste le même depuis longtemps. Là, on s’attend à ce que la différence soit plus marquée.


- Peux-tu nous parler de ton équipier Grégoire Munster ? Tu commences à bien le connaître.

- En effet, nous roulons ensemble depuis 2018. Il en était à sa deuxième saison de rallye en Opel Adam et faisait équipe avec Johan Jalet. Le duo fonctionnait bien, mais Johan, pour raisons professionnelles, ne pouvait se libérer pour toutes les épreuves auxquelles Grégoire voulait prendre part. Il ne souhaitait pas prendre un copilote suppléant au coup par coup. Il m’a contacté et m’a demandé si j’étais libre pour les épreuves restantes. Cela tombait plutôt bien, le programme que j’avais avec Guillaume de Mevius venait de tomber à l’eau et j’étais à pied.
Bernard, le papa de Grégoire, m’a présenté les choses de façon claire. On devait faire trois rallyes (en une semaine !). Si on sortait de la route dans l’un des trois rallyes, il stoppait la collaboration.
Nous avons débuté au Rallye Stemweder Berg en Allemagne. Nous terminons sur le podium de classe et sommes obligés d’assister à la remise des prix le samedi soir. Ensuite, retour vers la Belgique pendant la nuit parce que nous roulons le dimanche au rallye de la Haute Senne. Nous dormons 1H30 et nous gagnons la classe. La semaine suivante, c’est le rallye d’Ypres, le premier Ypres pour Grégoire.
Le premier jour, nous sommes septièmes dans la classe et premiers Belges (oui, bon, on ne va pas parler de licence luxembourgeoise). On roule bien, mais Grégoire fait la tête : c’est la première fois qu’il se trouve loin du podium et il n’est pas habitué 😊 Au final, nous terminons à la troisième place de classe. C’est tout bon pour un petit jeune sur un tel rallye. Et la collaboration a continué. Depuis, nous avons fait un paquet de rallyes ensemble. En cinq ans, je dirais qu’il n’y a pas eu de couac. Il y a bien eu l’une ou l’autre sortie, mais c’est « normal » quand on flirte avec la limite. De manière générale, Grégoire a un pilotage sûr et excelle quand les conditions sont délicates, il n’est pas perturbé et ses gestes restent fluides. Disons qu’il est moins mal à l’aise que les autres quand la spéciale est un vrai champ de bataille. L’an dernier au Japon, par exemple, à équipement pneumatique égal, nous collons 18 secondes à Suninen dans une spéciale dantesque.
Au niveau humain, nous avons une chouette relation et nous nous tirons mutuellement vers le haut. Nous sommes très soudés et l’ambiance de travail est très agréable.
Lors de ma bourde au Chili, quand j’ai oublié mes notes à l’assistance et que nous avons dû parcourir les spéciales avec les photos des notes sur mon téléphone, il aurait pu m’en vouloir mais il a relativisé et m’a bien soutenu.


- Venons-en au début. Comment t’es-tu passionné pour les rallyes ?

- Je devais avoir six ou sept ans et je suis tombé sur l’émission Champion’s qui passait chaque semaine à la TV. Ça me plaisait bien et j’ai commencé à m’intéresser au rallye.
Ensuite, j’ai voulu aller en voir un « en vrai » et j’ai demandé à mes parents de m’y conduire. Ils ont accepté mais je devais m’occuper de l’organisation : préparer le parcours qu’on allait devoir suivre, les horaires, etc. C’est peut-être pour ça que je suis devenu copilote.
En parallèle, j’ai commencé à acheter des magazines pour me tenir informé. Mon entourage familial et mes copains n’étaient pas intéressés par le rallye.
Par la suite, avec l’avènement d’internet, je me suis inscrit sur le forum Sendrogne-Racing qui était une mine d’informations sur le rallye belge et international. Il y avait une rubrique « pilote cherche copilote » que j’analysais en profondeur. Je voulais faire des rallyes et j’étais motivé comme jamais.
J’ai travaillé comme étudiant et, avec ma paie, j’ai acheté casque, Hans, combi pour être prêt au cas où. Je répondais à chaque annonce et j’ai essuyé quelques désillusions au début. Je n’avais pas d’expérience, pas d’argent pour participer aux frais et, quand quelqu’un m’acceptait, c’était pour ensuite me dire que l’on ne roulerait pas parce que la voiture n’était pas prête.
Philippe Closset a été le premier à me faire confiance. Il m’a dit : « je ne suis pas Vande, on n’ira pas vite mais c’est moi qui paie ». Il avait une bonne Corsa Groupe A et on a roulé. Moi, j’étais comme un gamin à Noël. C’était en 2012. Il était satisfait de notre collaboration et on a roulé ensemble à plusieurs reprises. Notre équipe d’assistance s’occupait de plusieurs voitures dont celle de Dany Bragard qui m’a proposé de rouler au Rallye Sprint Micky. Nous y avons gagné la classe. Ma première victoire de classe ! J’ai savouré ce moment. C’était peu, mais déjà beaucoup pour moi, qui venais de nulle part.
Le Micky se déroulait sur une spéciale du rallye du Condroz. En boutade, j’ai dit à Dany : « on a gagné la classe sur une spéciale du Condroz, on peut gagner la classe au Condroz ».
Et Dany nous y a inscrits, ce à quoi je ne m’attendais pas du tout. Nous avons gagné la classe au Condroz, qui était tout un symbole pour moi car c’est le rallye qui m’a le plus amené ma passion quand j’y allais en spectateur.
L’année suivante, je fais de nouveau en fonction de mon maigre budget et « j’use » quelques pilotes dont Maxime Warlomont avec qui nous gagnons le Rallye de Trois-Ponts. Une nouvelle coupe, un nouvel échelon. Je suis toujours aussi motivé.
Je roulerai également avec Christophe Jacob et sa diabolique Escort. Encore une personne à qui je dois beaucoup et qui me mettra notamment en relation avec Raphaël de Borman et Stéphane Prévot.
En 2014, je commence à avoir une petite réputation et mon nom circule. J’ai la chance de rouler avec plusieurs bons pilotes.
Pour 2015, malgré mon manque d’expérience à ce niveau, Guillaume Dilley fait appel à moi pour l’épauler dans le championnat de Belgique. Le but est de gagner la classe R3 avec la Citroën DS3 R3T Max. C’est encore un cran au-dessus. Guillaume est très méticuleux et, par rapport à mes précédents pilotes, il a des exigences pointues. En effet, nous sommes soutenus par DS et nous devons répondre à leurs attentes. L’objectif sera atteint avant l’heure et nous terminerons même à la seconde place du championnat de Belgique derrière Freddy Loix.
Comme nous sommes déjà champions R3, une Citroën DS3 R5 sera mise à notre disposition pour le Condroz, le dernier rallye de l’année. Mon premier rallye en R5 ! La dernière liaison sera un autre moment chargé en émotion, tant pour Guillaume que pour moi.
En 2016, Guillaume va participer au championnat de Belgique en DS3 R5 et souhaite un copilote plus expérimenté. Il va faire appel à Stéphane Prévot. Le meilleur.
Moi, je reste sur la touche. Les gens du milieu savent que je suis disponible, mais je ne veux pas m’imposer et prendre la place de quelqu’un, ce n’est pas mon genre. Je suis contacté par Guillaume de Mevius qui souhaite changer d’équipier.
Nous débutons notre collaboration par le Mid Wales Stages, un rallye faisant partie du Championnat britannique. Premier rallye à l’étranger, premier rallye sur la terre, avec un nouveau pilote, il y a de quoi être dépaysé… Nous roulons en Fiesta R2T DMACK Trophy. Les spéciales (celles du WRC) sont formidables mais nous abandonnons. Par la suite, nous faisons la saison en Coupe 208 R2 en France. C’est une bonne école, notamment sur la terre avec un seul passage en reconnaissance. En fin de saison, nous retrouvons la Fiesta pour participer au Catalogne, pour mon premier rallye en WRC. Ensuite, Guillaume est choisi par le RACB National Team et nous commençons déjà au Condroz avec la Peugeot 208 R2 de Peugeot Belgique Luxembourg, voiture que nous retrouverons pour la saison 2017. Au championnat de Belgique, nous gagnerons la classe RC4.
Cerise sur le gâteau, pour préparer 2018, nous disposons d’une Peugeot 208 T16 pour disputer le Condroz, le rallye du Var (où on se fait atomiser par les spécialistes) et le Dévoluy.
En janvier, on se fait le Monte-Carlo. Un monument. Un nouvel échelon. Comme toujours, c’est un parcours compliqué où on doit composer avec l’équipement pneumatique et l’état des spéciales. Nous devons engranger les kilomètres, mais Guillaume n’est pas toujours du style à rouler sur la réserve. Il s’applique néanmoins. Le samedi, c’est vraiment difficile dans « la soupe ». On se fait quelques frayeurs… comme les autres concurrents certainement. A la fin du rallye, nous sommes deuxièmes en WRC2 derrière la référence de l’époque, Kopecky. C’est tout bon.
Malheureusement, le contrôle technique de fin de rallye nous sanctionnera. Notre batterie est trop lourde de quelques grammes. Comme cela ne nous a pas apporté d’avantage, nous ne serons pas disqualifiés mais une pénalité de 19 minutes réduira à néant notre bon résultat.
Par la suite, nous participons au Haspengouw que nous terminerons à la troisième place.
Au Spa Rally, cela se passe bien, nous sommes performants dans le gras. Les pneus pluie fonctionnent bien dans les parties sur terre. Guillaume est confiant.
Dans la Clémentine, nous sommes en slicks. La spéciale se termine par une descente mythique sur la terre, mais qui grippe beaucoup moins avec ces pneus qu’avec nos pluies de la veille... Nous nous payons une belle sortie et passons en tonneaux sur des rondins. Abandon.
Nous partons ensuite en Corse. Nous bénéficions d’une journée d’essais, la veille des reconnaissances. Nous sommes en pneus durs, que Guillaume ne connaît pas et qui mettent beaucoup de temps à chauffer. Un freinage un peu tardif, nous nous posons sur des buissons un instant. Puis le nez plonge dans le trou et nous partons en tonneaux. Quand nous nous arrêtons enfin, 80 mètres en contrebas, l’essence coule devant moi. C’est un moment angoissant. Nous sortons de là, pas très fiers. La voiture est morte et Guillaume a le pied cassé.
Nous décidons de faire quand même les recos, mais arrêtons après deux spéciales. Avec un pied cassé, ce n’est pas raisonnable.
La loi des séries continue. Nous participons ensuite au Rallye de Wallonie. Tout se passe bien et nous faisons de bons temps. Dans Mohiville, nous sortons légèrement de la route et cassons le radiateur. Abandon inéluctable.
Le team décidera de changer de copilote « pour voir » et je serai remplacé par Martijn Wydaeghe.
Heureusement, cette mauvaise passe durera peu de temps puisqu’une nouvelle aventure avec Grégoire Munster commencera quelques semaines plus tard.


- Durant ta carrière, tu as rencontré pas mal de personnalités du milieu du rallye, tu peux nous en dire quelques mots ?

- Je ne voudrais vexer personne et il faut me pardonner si je me limite à quelques noms. En roulant avec les fils de Mevius et Munster, j’ai eu l’occasion de fréquenter les pères.
Grégoire de Mevius est quelqu’un de très classe, c’est vraiment une belle personne. Il m’envoie toujours un message de félicitations quand nous faisons de bons résultats. J’ai pu rouler à ses côtés aux Legend Boucles de Bastogne. Dans la terre, il a toujours un fameux coup de volant.
Bernard Munster est plus difficile à cerner au premier abord. Il a l’air un peu froid alors qu’il est juste très réservé. C’est quelqu’un de très humain, de très passionné qui ne baisse pas les bras et qui trouve toujours des solutions. C’est aussi un bourreau de travail. Au niveau pilotage, l’expérience a été de courte durée puisque nous avons cassé le moteur après quatre spéciales.
Il y a bien entendu Stéphane Prévot qui a une immense carrière et qui était un peu la référence en Belgique quand j’étais jeune. Grâce à Christophe Jacob, je l’avais contacté par mail pour avoir des conseils. Je n’y croyais pas trop mais il m’avait répondu le lendemain. Nous nous étions ensuite vus dans un café en face de la gare de Huy et il m’avait bien guidé et redynamisé.
J’ai également une pensée particulière pour Craig Breen pour qui j’ai travaillé en mondial et avec qui j’ai disputé la Targa Florio en 2021. Pour les raisons que l’on sait, ce rallye lui tenait particulièrement à cœur. Suite à un souci technique, nous avions perdu un peu de temps et il était désespéré de terminer à la deuxième place à moins de 3 secondes de la victoire. Il aurait tant voulu gagner pour Jaffa.
Le lendemain, il a insisté pour que nous allions ensemble nous recueillir sur la stèle. Une personne très touchante. Un grand.
Enfin, il y a Jourdan Serderidis. C’est lui qui nous a permis de gravir les derniers échelons pour être au sommet de la discipline. C’est une personne qui reste simple et très respectueuse. Beaucoup devraient s’en inspirer. Il croit en nous et nous l’en remercions. En 2022, il nous a soutenus pour participer à l’Acropole, au Catalogne et au Japon en WRC2 pour voir de quoi on était capables. Après les résultats des deux premiers rallyes, on se demandait un peu ce qu’on allait faire au Japon. Finalement, nous terminons à la septième place du classement général et premiers en WRC2.
Suite à cela, Jourdan et Grégoire ont noué les contacts avec M-Sport pour la saison 2023. Nous avons fait la majeure partie de la saison en Fiesta Rally2 et un bonus de deux rallyes en Puma Rally1
Je le répète. Sans lui, nous resterions cantonnés à un niveau inférieur. Avant lui, les parents de Grégoire ont également fait énormément de sacrifices pour nous permettre d’en arriver là où nous en sommes aujourd’hui.


- Quel regard portes-tu sur le rallye actuel ?

- Au niveau mondial, c’est une période compliquée. Pas mal d’équipages sont à temps partiel ou n’ont pas de voiture. Il y a 20 ans, tous auraient pu trouver un volant facilement parce qu’il y avait 8 constructeurs et 25 voitures d’usine... Dans ces conditions, nous sommes très contents de rouler pour M-Sport sur l’ensemble du championnat.
Mais je reste confiant. Je me souviens qu’en 2003 le duo de rookies Märtin / Duval a succédé au duo de champions McRae / Sainz. Avec les résultats que l’on connaît. M-Sport a souvent fait confiance aux jeunes. Si l’histoire repasse les plats, c’est de bon augure pour 2024 pour le duo Fourmaux / Munster.
Au niveau national, ce n’est pas facile non plus. Les budgets ont évolué même pour les coupes de promotion. Réunir les sommes demandées est plus ardu chaque année.
Quant aux jeunes copilotes, il me semble qu’il y a en ce moment un peu moins d’envie. J’ai l’impression qu’il n’y a pas assez de relève. Même si je peux à mon tour donner des conseils, je suis très peu sollicité. J’ai seulement deux ou trois contacts assez proches avec des jeunes qui « ont la foi ».

[subattac]

Super cette interview
Le petit gars qui sort de nulle part et qui arrive par son opiniâtreté à finalement rouler en catégorie reine dans un team officiel.
J'aime bien cette approche humble. C'est pas de l'humilité feinte. C'est genre: bon on sait qu'on n'est pas les plus rapides mais on va faire de notre mieux et on verra bien où ça nous mène. Ça leur a déjà permis de se mettre en avant quelques fois. Sans faire de bruit ils avancent.

Espérons que cette saison leur soit profitable pour l'avenir. Ils peuvent parfaitement atteindre l'objectif qui est de ramener des points mais surtout ils peuvent se montrer un peu plus devant à l'occasion sans en faire trop et leur saison sera une réussite.

[chapy47]

Sympa. Faudrait qu'il nous raconte sa saison onboard si c'est faisable.

[Tom]

Très sympa cette itw avec un copilote sympathique et peu avare de propos

Largement d'accord pour une chronique trimestrielle (ou plus)

[Super-mörtl]

Copilote très sympa on était même parc assistance les deux années que je suis descendu à Gap pour les amies du 86

[Lo--->]

Ce 22 décembre 2023, M-Sport confirmait ses deux équipages de pointe pour le Championnat WRC 2024. Pour notre plus grand plaisir, Louis Louka, un des anciens membres de Forum-Rallye, accédait au sommet de la compétition. L’occasion était trop belle pour lui dresser le portrait sous forme d’interview, une fois n’est pas coutume.

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Top interview!

Merci Louis pour le temps consacré

[Stephuy]